Plus vert sera le malt …

Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un projet abracadabrant né dans l’esprit tordu d’un as du marketing, consistant à créer un whisky de couleur émeraude, jugée plus « tendance » que l’ambré ancestral de notre boisson favorite. Même les Irlandais, pourtant fanatiques de tout ce qui est vert, n’y ont pas songé !
Plus sérieusement, il s’agit ici de souligner les efforts entrepris par l’industrie du whisky pour répondre aux besoins environnementaux actuels comme au souci de développement durable.

Certes, les Ecossais, économes depuis qu’ils existent, n’ont pas attendu les cris d’alarme concernant l’avenir de la planète pour s’y mettre.

Cela fait des siècles que les drèches, résidus solides après le brassage, servent à nourrir le bétail, ou que les fûts de vieillissement sont recyclés au moins deux ou trois fois avant d’achever leur mission. Et, depuis quelques années déjà, la piscine de Bowmore est chauffée grâce à l’énergie récupérée de la distillerie voisine.

Récupérer l’énergie

Grosse consommatrice d’énergie, la distillation a longtemps reposé sur l’emploi de sources fossiles, comme le charbon puis le gaz, même s’ils servent surtout à produire de la vapeur. Les remplacer par des sources renouvelables est donc devenue une nécessité, et, dès 2009, la Scotch Whisky Association s’est donnée comme objectif de couvrir 20 % des besoins en sources non fossiles, mais aussi de réduire de 10 % le poids des emballages, réaliser 40 % des emballages à partir de matériaux recyclés, voire de commercialiser des emballages totalement réutilisables ou recyclables. En ce qui concerne l’énergie, la réalisation la plus importante a été inaugurée au printemps dernier par le prince Charles en personne. Située à Rothes, il s’agit d’une centrale à biomasse, qui brûle le bois et les drèches afin de produire de l’énergie et de la vapeur. Celle-ci est utilisée surtout pour extraire la partie liquide des résidus de distillation (le pot ale) afin de produire un sirop alimentaire pour nourrir le bétail. Décidée par un consortium réunissant les principaux groupes de la région (Diageo, Edrington, Chivas, Inver House, Campari…), cette usine (72 millions d’euros d’investissements) va ainsi convertir les déchets de seize distilleries du Speyside, géné- rant plus de 8 mégawatts d’électricité, soit la consommation de 9 000 foyers. Ou, autrement dit, une économie de 46 000 tonnes de CO2 chaque année ! D’autres réalisations sont menées au niveau des distilleries elles-mêmes. Outre le système mise en place à Dufftown pour traiter par évaporation les résidus de distillation (voir l’article dans ce même numéro), l’importante distillerie de grain de Cameronbridge (Diageo) développe actuellement un projet de centrale à biomasse qui devrait, à terme, fournir 98 % de la vapeur et 80 % de l’électricité utilisés pour la distillation. Appartenant également à Diageo, la toute récente distillerie de Roseisle (12,5 millions de litres d’alcool de capa- cité annuelle) est équipée d’une installation de transformation des déchets en eau réutilisable et en méthane. Quant à Tomatin, elle a décidé de réaliser une nouvelle chaudière (1,5 million d’euros) fonctionnant non au pétrole, mais aux granulés de bois produits non loin de là à Invergordon. A la clé, 96 500 tonnes de CO2 devraient être économisées en 20 ans. Autre projet, celui de l’extension de Macallan, qui comprend une centrale à biomasse dont la mise en œuvre lui permettra de ne pratiquement plus recourir au gaz, alors que ce dernier couvre actuellement 90 % de ses besoins.

Beaucoup à faire encore

La multiplication de ces projets et réalisations ne doit pas faire oublier que les besoins sont encore immenses pour que le scotch whisky soit davantage « écolo-friendly ». Ainsi, en 2008 encore, 97 % de l’énergie consommée par cette industrie était d’origine fossile. Et, selon une étude récente, les distilleries écossaises produiraient annuellement 500 000 tonnes de drèches et 2 milliards de litres de pot ale ! Certes, une bonne partie est recyclée dans l’agriculture, mais sans récupération immédiate d’énergie. Toutefois, les projets de centrale à biomasse ont provoqué des craintes chez certains éleveurs écossais, qui craignent de devoir se passer à l’avenir des drèches pour nourrir leurs troupeaux. Comme quoi, il n’est pas vraiment facile de plaire à tout le monde !

Par Gilbert DELOS