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Whiskies tourbés : mais où sont passés les ppm ?

Par Christine Lambert – Whisky magazine – Mars 2025

La mesure des phénols responsables des arômes tourbés fait apparaître des chiffres qui chutent dramatiquement selon qu’elle est réalisée sur le malt… ou sur le whisky. Mais alors, où disparaissent-ils entre-temps?

Parlons magie et tours de passe-passe si vous le voulez bien. Mais au lieu d’escamoter les colombes dans un haut de forme, étudions comment les phénols disparaissent d’un whisky tourbé. Molécules aromatiques responsables des notes fumées/médicinales, ces phénols sont mesurés en parties par million, autrement dit en ppm, l’acronyme préféré des peat geeks (faites le test!). Le storytelling des distillerie nous encourage à croire que plus le nombre de ppm est élevé plus le whisky sera tourbé: l’effet waouh du phénol, dont Octomore a poussé le curseur au max.
Le hic? Les ppm sont mesurées sur le malt. Logique, puisque les phénols se fixent sur l’orge lors du maltage, au moment du kilning (séchage au four): la fumée phénolique dégagée par la pyrolyse de la tourbe dépose ces molécules sur l’enveloppe de la céréale, le husk. Pour faciliter les échanges commerciaux, il n’est pas complètement idiot que les malteurs aient pris l’habitude de ppm-iser (oui, j’invente des mots, à rebours de l’époque qui les supprime) le grain. Il est plus discutable que l’industrie du whisky ait perpétué cette convention.

À la drèche, les phénols!
Car à l’arrivée, dans votre verre, 50 à 80% des ppm se seront esbignés, dans des variations très notables selon l’équipement et les procédés de fabrication. Les rarissimes marques et distilleries qui, dans un soucis de transparence, ont pris l’habitude de communiquer les ppm analysés sur le liquide – AnCnoc, Ailsa Bay, Torabhaig, Meikle Tòir… – donnent un aperçu de la grande évasion. Prenez la cuvée Cnoc Na Moine de Torabhaig: 78,4 ppm sur l’orge (waouh) mais… 19,7 ppm dans le whisky (oups). Tandis que le Peathart d’AnCnoc affiche 34 ppm sur l’orge et 13,3 ppm dans la quille.
Alors « la » question à 12.000 ppm: où sont passés les phénols? En fait, ils s’évanouissent à chaque étape ou presque de la fabrication. Au broyage, d’abord, puisque l’enveloppe de l’orge où ils se fixent se dissémine en partie à la sortie du moulin. Lors du brassage ensuite, à des degrés divers selon que le moût est plus ou moins filtré. La plupart du temps, le husk tamise le moût au fond du mashtun… et les phénols partent dans la drèche.
A la fermentation, ça se complique. Bien que le débat ne soit pas tranché dans la recherche, d’autres phénols semblent se créer pendant cette étape, sans que l’on sache s’ils participent au profil tourbé du whisky.

De la fumée sous les queues
Mais c’est la distillation qui fait le grand ménage dans les ppm. « Ces molécules lourdes ne veulent pas être distillées! », insiste Barry Harrison, chercheur au Scotch Whisky Research Institute. De fait, leur point d’ébullition est beaucoup plus élevé que l’éthanol, les esters ou l’eau. Le guaiacol et les crésols, par exemple, familles de phénols apportant respectivement des notes cendrées, camphrées et des arômes médicinaux se dispersent aux environ de 200° C, détaille-t-il dans l’indispensable ouvrage de Mike Billett, Peat and Whisky, the Unbreakable Bond.
Les composés les plus lourds s’envoient donc en l’air dans l’alambic vers la fin de la distillation, et notamment dans les queues: par conséquent, les coupes sont souvent ajustées à la baisse quand on distille du whisky tourbé.
Une distillation lente, en provoquant davantage de reflux (et de contact avec le cuivre purificateur du pot still), dégommera davantage de ppm. Le volume de queues (plus tourbées, donc – merci de suivre ou de faire semblant) réinjecté dans la seconde distillation influence également le résultat.

Parlons de l’arrière-train des molécules
Evidemment, la forme, la taille, la charge de l’alambic, la présence ou non d’un purificateur et l’inclinaison du col, en minimisant ou maximisant le reflux jouent un rôle déterminant. Ce qui explique que Caol Ila, qui utilise le même malt à 35 ppm que Lagavulin, offre un ressenti moins tourbé que sa frangine de Kildalton.
Inutile de préciser que dans un alambic peu chargé, très haut et armé d’un col ascendant, les phénols vont avoir bien du mal à hisser leur petit popotin fumé, et retomberont dans le pot still tant qu’ils ne se seront pas allégés.
Mais, là encore, mieux vaut ne pas raisonner en termes de quantités de phénols: certains types de congénères ont un impact démesuré à des taux de détection très bas. Un peu comme le sel ou le poivre dans la cuisine: ajoutez-en 2 cuillérées à café dans votre assiette de purée et vous ne sentirez plus les patates!
Reste le vieillissement, sans doute l’étape qui offre le plus matière à questionnement. Quiconque a goûté des whiskies tourbés très âgés sait que les phénols disparaissent avec le temps. Mais ce n’est pas aussi simple.

 

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LES NEWS ET LES POTINS … SWELL DE SPIRITS

Une nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants. Interview de Mickael Barbaria

Cadenhead, Gordon & MacPhail ou encore Signatory Vintage ont la part belle lorsqu’on évoque les embouteilleurs indépendants. Ils se distinguent des embouteilleurs officiels que sont les distilleries. Ces stakhanovistes du whisky sillonnent le monde à la découverte de LA cuvée. Fins connaisseurs et souvent négociants, ils sourcent donc les whiskies directement auprès des distilleries. Certains les font vieillir dans leurs chais, d’autres leur apportent une seconde maturation ou un finish avant de les embouteiller sous leur nom.

Aujourd’hui la qualité rime avec la traçabilité, alors la distillerie d’origine est mentionnée, sauf quelques exceptions bien entendu. Une nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants émerge. Si, certains se spécialisent dans le rhum ou le whisky, nous sommes partis à la rencontre d’un palais aiguisé qui rend hommage à toutes les catégories de spiritueux français en réalisant des sélections pointues en éditions ultra limitées : Michaël Barbaria, créateur de Swell de Spirits.

Quel est ton parcours ?
Michaël Barbaria : Issu d’une famille d’origine italienne, j’ai baigné tôt dans l’univers des vins et des spiritueux. Pas un repas de famille ne pouvait s’achever sans l’indétrônable Grappa.

Voilà pour les débuts de mes appétences pour les spiritueux et la distillation, sinon je suis ingénieur de formation. J’ai commencé chez Airbus dans le design et le calcul de structure, mais je n’étais pas en phase avec ce métier. Les voyages forment la jeunesse et j’avais envie de découvrir le monde. Alors je suis parti surfer la vague en Australie. D’ailleurs, ma passion pour le surf a inspiré le nom de ma boîte : Swell de Spirits. Swell, signifie houle. En surf, la houle désigne une vague propice à la pratique de la glisse. Cette ondulation puissante est gorgée d’énergie. Alors Swell de Spirits, littéralement la Houle des Spiritueux, retranscrit bien mon envie de créer une synergie entre les différentes eaux-de-vie et de mettre en lumière l’histoire des domaines et distilleries que j’ai découvert.

En résumé, j’ai été expat pendant 14 ans (Australie, Asie, Allemagne). Ce n’est qu’en 2017, lorsque j’ai repris mes études à l’ESCP Europe que j’ai commencé à toucher du doigt le fait de pouvoir vivre de ma passion des spiritueux. J’ai toujours été un afficionado, avec une préférence pour le whisky écossais. D’ailleurs ma femme est écossaise, mais elle ne s’appelle pas Rita (ndlr comme l’épouse de Masataka Taketsuru). Avant même de créer Swell de Spirits, j’avais commencé à acheter des fûts âgés de 3-4 ans, des new makes avec l’idée d’embouteiller pour un club de dégustation ou autre, même la finalité restait abstruse, mon leitmotiv était le partage animé par la découverte. En 2022, j’ai eu l’occasion de distiller aux côtés de Francis Cuthbert – propriétaire de la distillerie écossaise Daftmill, située dans les Lowlands.

Qu’est-ce qui t’a séduit dans l’univers des spiritueux ?
MB : Pas mal de choses. Si pour moi toutes les étapes sont importantes, c’est la distillation qui m’a séduit. La transformation de chaque matière première (orge, canne à sucre, vigne), c’est juste magique. Avec la distillation, on a un véritable morceau d’histoire. Cette méthode ancestrale qui traverse les siècles continue de nous surprendre. D’ailleurs, le distillat qui sort de l’alambic c’est l’ADN de la distillerie. Cela étant, ce que j’aime avec le vieillissement, c’est que même les meilleurs chimistes ne peuvent pas prévoir son résultat. Cette étape qui réserve son lot de surprises, bonnes ou mauvaises d’ailleurs, contribue à la magie de l’univers des spiritueux. Enfin, les rencontres et les échanges avec les différents acteurs de ce milieu m’enrichissent chaque jour et me confortent dans ma passion.

Qu’est-ce qui te plait le plus dans le fait d’être embouteilleur indépendant ?
MB : Rendre un hommage aux histoires, aux producteurs, mettre en lumière un savoir-faire. Le côté humain. Le partage.

Penses-tu que l’univers des spiritueux prend un coup de jeune et surtout qu’il devient de plus en plus « Geek » ?
MB : Oui. Les amateurs se forment et se renseignent de plus en plus sur la catégorie qui les intéresse. Certains passionnés vont jusqu’à se cotiser pour acheter une bouteille qu’ils découvriront et dégusteront ensemble (à cause de certains prix qui s’envolent, je pense notamment aux whiskies et de plus en plus aux rhums). Il y a une vraie tendance du consommer moins mais meilleur. Le whisky se rajeunit aussi. D’ailleurs, le côté embouteilleur indépendant a apporté un vent de fraîcheur. Pour moi, il n’y a pas de dogme dans la dégustation, l’essentiel est dans la découverte et le partage.

Quel a été le déclic pour te lancer dans l’aventure ?
MB : Décision familiale, que l’un des deux puissent vivre de sa passion. En 2020, le projet est arrivé à maturité. En 2021, j’ai ouvert le bal avec le Cognac Pasquet. L’idée est d’amener les amateurs de whisky et de rhum aux spiritueux français, de créer des passerelles entre les différentes catégories de spiritueux.

Quel est le critère « coup de coeur » pour sélectionner tel ou tel spiritueux ?
MB : Je marche au coup de coeur. Je décortique beaucoup, je suis dans le détail, ça doit venir de mon côté ingénieur. Je déguste peu mais bien et fait beaucoup de « nosing ».

Une philosophie à partager ?
MB : Vivre la vie à fond, se faire plaisir.

Quel est le maître mot d’un spiritueux réussi ?
MB : Chaque spiritueux a des critères que j’aime ou pas, mais quand je déguste et sélectionne, j’aime retrouver les codes organoleptiques typiques de la région. Par exemple, si je vais sur Islay, il faut que la tourbe un peu « dirty » soit combinée à une fumée subtile. Je recherche la finesse de l’élevage alliée à l’élégance du distillat.

Une anecdote croustillante sur le whisky ?
MB : Sais-tu ce que signifie l’acronyme FWP ? Il désigne un arôme intense de violette que certains embouteillages de whisky Bowmore (uniquement les officiels) réalisés dans les années 1980 présentent. Ce parfum intense de violette, jugé désagréable a été baptisé FWP (French Whore Perfume). Outre la référence un peu grivoise, voire désobligeante, ce problème survient pendant le brassage et non à l’étape du refroidissement des vapeurs d’alcool à la sortie de l’alambic grâce à des condenseurs comme beaucoup l’ont pensé. Ce défaut se produit lorsque la première eau du brassage est beaucoup trop chaude, en l’occurrence chez Bowmore, elle était à plus de 90°C.

A seulement 39 ans, Michaël Barbaria incarne la nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants. Du cognac au whisky en passant par le calvados, l’armagnac et le rhum, Michaël Barbaria rend hommage à chacune des catégories et aux histoires familiales qui se cachent derrière chaque cuvée qu’il sélectionne et embouteille.

Marie-Sophie Girodet Bourhis