l’ actualite du whisky

LES NEWS ET LES POTINS – WHISKY ON THE ROCK … de Jacques FLEURANCE

Le whisky est le spiritueux préféré des Français ; 200 litres de ce breuvage sont consommés chaque seconde dans le monde !
Un univers particulier, reconnu et respecté, le whisky est en constante évolution comme celui de la musique.
Quel est le sens non sollicité lors d’une dégustation ?… L’ouïe.
Nous vous proposons, grâce à ces pages, de remédier à ce constat et d’allier le palais à l’oreille, d’associer le goût à l’ouïe, complétant ainsi les quatre perceptions de la dégustation (visuelle, tactile, olfactive, gustative) par celle de l’audition.
Découvrons dès maintenant les alliances possibles entre whisky et musique pour de nouvelles et belles sensations.

LES NEWS ET LES POTINS – EN ECOSSE, LE TOURISME DU WHISKY S’ANOBLIT …

Par Béatrice Brasseur
LES ECHOS – WEEK-END – Publié le 12 nov. 2023 à 14:00 – Mis à jour le 28 nov. 2023 à 18:03

Des Highlands à la Speyside, avec une imagination aussi ardente que leurs whiskys, les distilleries écossaises relèvent leur degré d’exigence et dopent leur offre. Il n’y a pas de mal(t) à se faire du bien !

À Edimbourg, sur Princes Street, un immeuble entier est consacré à l’univers de Johnnie Walker, le whisky écossais le plus vendu au monde. (©Simon Hird)

Première activité touristique en Ecosse ? La visite de distilleries. Mais admirer cuves et alambics rutilants dans les vapeurs odoriférantes avant de déguster un wee dram (« un petit verre ») ne suffit plus aux « whisky touristes ». Ils étaient 2 millions l’an dernier : une moitié de Britanniques, l’autre venue du monde entier, principalement des Etats-Unis (premier marché en valeur pour les whiskys écossais), d’Allemagne, des Pays-Bas, et de France (premier marché en volume et premier pays consommateur de single malt au monde). Ils y ont dépensé 85 millions de livres (+90 % depuis 2010), pour un panier moyen de 42 livres. De quoi pousser le bouchon plus loin d’autant que sur 148 fabriques en activité, la moitié seulement possède un centre de visites.

« Depuis dix ans, indique la Scotch Whisky Association (SWA), la filière a investi 300 millions de livres dans le développement et la montée en gamme du whisky tourisme. » « Celui-ci subit actuellement une transformation massive, estime John Laurie, directeur général de The Glenturret, la plus ancienne distillerie écossaise (1769) en activité. Les distilleries commencent à s’éloigner de la visite générique ‘Comment faire du whisky ‘ pour adopter une expérience holistique qui reflète mieux leur marque. The Glenturret a été à l’avant-garde de ce mouvement, en proposant une hospitalité et une restauration exceptionnelles ; d’autres ont ouvert la voie, par exemple The Macallan avec son incroyable nouvelle distillerie, et Johnnie Walker avec son attraction interactive sur Princes Street. »

Odorama, 800 combinaisons de cocktails…
Les « tradis » contre les « trendys » ? Johnny Walker, le fleuron de Diageo, numéro 1 mondial des spiritueux, veut les deux. À lui seul, le groupe a investi 185 millions de livres pour « établir un nouveau standard » capable de satisfaire tout le monde avec une stratégie claire comme de l’eau de loch.

À la manoeuvre, l’agence américaine BRC Imagination Arts, spécialisée en « design global », qui, par le passé, a phosphoré sur la Heineken Expérience, à Amsterdam; la Guinness Storehouse, à Dublin, l’Abbey Road Studios, à Liverpool; le Rock’n’Roll Hall of Fame et le Kennedy’s Space Center de la Nasa, aux Etats-Unis – Excusez du peu. Diageo lui a confié la création de centres de visites inédits, basés sur un récit aussi documenté qu’échevelé pour quatre de ses distilleries clés – Glenkinchie, Clynelish, Cardhu, Caol Ila, situées dans des coins perdus des Lowlands, des Highlands, de la Speyside et sur l’île d’Islay. Celles-ci sont les piliers de son blend Johnnnie Walker, le whisky écossais le plus vendu au monde et la marque source aussi parmi une trentaine de fabriques représentant une réserve de 11 millions de fûts pour l’élaboration de ses
différentes éditions.

Dans la distillerie Glengrant fondée en 1840 dans le Speyside, en Ecosse.©DR Mais l’attraction la plus spectaculaire, « de classe mondiale », n’est pas une distillerie et trône au coeur d’Edimbourg, sur Princes Street : un immeuble entier, l’ex-Bank of Scotland, est dédié à l’univers de Johnnie Walker. L’expérience commence par un quizz (vous aimez le romarin ? la vanille ? le gingembre ?…) pour définir votre profil gustatif. Personnalisation est le maître mot, du béotien à l’initié. À partir de là, une heure trente virevoltante de show immersif et interactif avec des comédiens, des écrans, de l’odorama, des barmen délivrant des cocktails sur mesure – 800 combinaisons possibles -, un tour d’Ecosse pour comprendre l’assemblage, les spécificités des régions et donner envie de voir du pays.

Quatre périples différents, dont le plus informé permet de déguster à la cave des whiskys rares tirés du fût. Ils sont 150 à animer, en 23 langues, ce temple du spiritueux installé sur 6.640 m2 et huit étages, avec une boutique XXL présentant la collection complète de la marque, avec la possibilité de remplir ses propres bouteilles et de les personnaliser, un bar en rooftop avec vue sur le château d’Edimbourg, sans oublier un restaurant où les chefs étoilés James et Maria Close proposent six accords bouchées-cocktails à base des whiskys du groupe, conçus par le chef barman Miran Chauhan.

Quelque 650.000 visiteurs venus de 130 pays ont déjà visité le lieu depuis son ouverture il y a deux ans, 50% de femmes et 78% de « consommateurs occasionnels », âgés de 39 ans en moyenne. Pile dans l’objectif : recruter de nouveaux fans de la marque et changer l’image et le mode de consommation traditionnels du whisky. Pour répondre à cette concurrence, The Scotch Whisky Experience sur le Royal Mile à Edimbourg,(337.000 visiteurs en 2022), créé il y a vingt-cinq ans à l’initiative de dix-neuf marques, propose trois nouvelles expériences immersives. Investissement : 3,5 millions de dollars.

Le centre de visites de The Macallan, avec son toit enherbé ondulant dessiné par le cabinet Rogers Stirk Harbour + Partners.©Mark Power/Magnum Photos for The Macallan

Partout en Ecosse, dans les landes, sur les côtes et dans les îles, d’autres initiatives fleurissent. Talisker, la distillerie bientôt bicentenaire de l’île de Skye, a ouvert, l’an dernier, son centre de visites (créé par le même BRC)  où son identité « made by the sea » («façonnée par la mer») est scénarisée et déclinée à l’envi. En avril dernier, douze privilégiés y avaient rendez-vous pour un « souper secret », alléchés à plus d’un titre. Skye est somptueuse et le menu affichait sept saveurs locales (saint-jacques, langoustines, agneau, plantes sauvages…) accordés à des whiskies d’âges différents et des cocktails exclusifs (Highball à la rhubarbe, Manhattan à la reine-des-prés…). À la fin de l’été, Talisker a également accueilli la seconde édition du Hebridean Whisky Festival, réunissant cinq autres distilleries des Hébrides (Jura, North Uist, Harris, Torabhaig, Raasay) avec force délices insulaires, musique, master classes. Des rendez-vous renouvelés en 2024.

Des marchés de niche haut de gamme
Côté gastronomie, c’est The Glenturret qui a ouvert la voie, dès 2021. Son restaurant, décor de tartans créés sur mesure et cristal Lalique, a gagné son étoile au Michelin dès la première année. Le jeune chef Mark Donald (Noma, The Gleneagles, The Balmoral…), sublime les ressources locales (écrevisses de loch, boeuf wagyu des Highlands…) soutenues par une cave
de 600 vins. « The Glenturret et Lalique ont les mêmes valeurs d’artisanat et d’excellence », indique Silvio Denz, propriétaire des deux fleurons. Il réveille la belle endormie – comme il l’a fait à Sauternes où il a doté son premier grand cru classé Lafaurie-Peyraguey d’un hôtel de luxe et d’une table 2 étoiles -, élargit la gamme et développe le tourisme : « The Glenturret a l’avantage de n’être qu’à une heure des gourmets d’Edimbourg et de Glasgow. »

Pas moins de 6.000 convives ont fréquenté l’an dernier le bar et la table et 40.000 personnes ont visité la distillerie en 2023. Sur un marché de niche haut de gamme, elle ne produit que quelques centaines de milliers de litres d’alcool annuels, une gouttelette dans l’alambic mondial, sous la houlette de Bob Dalgarno, maître distilleur et « master blender » parmi les plus réputés. Sa collection 2023 compte huit whiskys et des éditions limitées, dont une collaboration avec l’artiste américain James Turrell, un flacon à 80.000 livres pièce.

Le palace voisin, le légendaire Gleneagles, confie à The Glenturret l’élaboration de son whisky exclusif. La boutique (150 livres de panier moyen), le restaurant et le bar, où l’on y savoure 230 grands whiskys écossais et les single malt de la maison dans un verre Lalique spécialement créé, sont évidents parés du luxueux mobilier Lalique Maison.

Mark Donald, le chef du restaurant «The Glenturret Lalique» ©Marc Millar Le couvert plus le gîte, suite logique mais encore rare de la potion touristique magique. L’an prochain, The Glenturret ouvrira son hôtel, Aberturret
Estate House. Ardberg, sur l’île d’Islay, a également un projet. Raasay, sur l’île éponyme, revendique d’être la seule, pour l’instant, à avoir un hôtel et un restaurant sur les lieux mêmes de production. La cerise sur le cask ? Recevoir chez soi dans une boutique hôtel aux couleurs de la distillerie. Telle l’inimitable et ultra cosy guesthouse de Glenmorangie, à quinze minutes de la fabrique, avec des vues à couper le souffle sur le Moray Firth et entourée des champs d’orge dont la production est réservée à l’édition Cadboll Estate.

Oubliez tout ce que vous savez du cottage classique, le célèbre décorateur londonien Russell Sage, chouchou des palaces, a ici déchaîné une tornade d’extravagance chromatique dans les salons et les chambres. Toutes les nuances du whisky sont déployées, l’orange, évidemment, mais aussi l’or qui illumine plafond, murs et boiseries. Tartans, motifs floraux, géométriques et animaux (la girafe est l’emblème de la distillerie qui possède les plus hauts alambics d’Ecosse, 5,14 m) rivalisent sans jamais jurer – un exploit. Le mobilier ancien (un vénérable buffet a été carbonisé pour évoquer l’intérieur des fûts) calme à peine le jeu, tout de suite relancé par des pièces design. De quoi impressionner durablement les rétines tandis que le chef et le barman se chargent d’imprimer les papilles des saveurs maison. « La guesthouse est l’incarnation des valeurs de Glenmorangie : convivialité, modernité, excellence, audace », résume Stuart Smith, brand home manager.

Ajoutée à la distillerie Glenmorangie, une tour en verre  de 20m de haut, imaginée par les architectes français Philippe Barthélémy. et Sylvia Griño.©DR

La distillerie elle-même détonne avec, aux côtés de bâtiments classiques, une « lighthouse » inédite, imaginée par le cabinet d’architecture français Barthélémy Griño (1), soit une tour en verre de 20 mètres, dévolue à l’innovation spiritueuse tous azimuts et voulue par Bill Lumsden, le cerveau créatif de la distillerie. Depuis quarante ans, ce biochimiste repousse les limites du scotch. Pionnier, par exemple, du « finishing » en fûts de vin, premier à utiliser du malt extra-torréfié à la saveur unique (une idée matinale, en savourant son expresso, dont l’aboutissement est Signet), et le premier à envoyer un échantillon d’Ardberg, la maison soeur, dans l’espace, pour étudier ses effets sur la maturation et les arômes…

L’architecture audacieuse a aussi changé le visage de The Macallan. Sa distillerie et son centre de visites, en pierre locale et bois, avec un toit enherbé ondulant inspiré des collines environnantes, sont l’oeuvre du cabinet Rogers Stirk Harbour + Partners, de renommée internationale. Une première pour le Speyside.

L’investissement de 140 millions de livres consenti par le groupe Edrington, propriétaire, a un triple bénéfice : le nouvel outil de travail permet d’augmenter la production d’un tiers, l’image de la marque est modernisée, et une atmosphère unique accueille le visiteur. L’offre touristique va de l’abordable au sur-mesure cher. Il faut en effet quelques milliers de livres pour s’offrir, par exemple, lors d’un shopping privé dans la lifestyle collection de The Macallan, le tout nouveau set de dégustation très design des soeurs McCartney, Stella et Mary, ou l’exploration en une journée et en Bentley de tous les recoins et secrets des 158 hectares de l’Elchie Estate, le domaine de The Macallan. Le bar recèle la plus large collection au monde de ses whiskys. Le prochain défi pour la marque sera de faire du Speyside, en 2024, « une destination aussi incontournable pour la gastronomie que pour le whisky ». La recette reste encore secrète.

Highland Park, la plus septentrionale des distilleries écossaises.©DR Il n’empêche que le traditionnel a aussi beaucoup de charme. Direction Highland Park, la plus septentrionale des distilleries écossaises, et la plus ancienne de l’archipel des Orcades. Faire le voyage jusque-là est déjà une expérience en soi. Y arriver une récompense : trop de vent, et l’avion à hélices reste au sol.

L’autre bijou du groupe Edrington est à l’exact opposé de The Maccalan. L’étrangeté du paysage, la sauvagerie des éléments, les tourbières couvertes de bruyères de Hobbister Moor, marqueurs aromatiques de Highland Park, les champs de pierres levées néolithiques, les falaises noires à pic d’eaux métalliques rugissantes, nul besoin d’en rajouter. Pas de geste architectural, la distillerie est blottie dans ses pierres du XVIIIe siècle, et possède encore son séchoir à orge – il n’y en a plus beaucoup. Pas de restaurant mais un bar dédié, hors ses murs, au Kirkwall Hotel, sur le port, où l’on peut choisir parmi plus de cent whiskys de la marque. Slainte (santé) !

(1) L’extension de la Distillerie Glenmorangie est exposée dans la cour d’Orléans du Palais Royal, à Paris, jusqu’au 10 décembre 2023, aux côtés des neuf autres projets figurant au Palmarès du Grand Prix AFEX 2023.

IDÉE CADEAU :


Un beau livre sur le whisky français est paru chez Flammarion, le 13 Septembre 2023 : Une brève mais intense histoire du whisky français ».
Si les 40 années hexagonales ne peuvent rivaliser avec les 5 siècles en kilt, ce recueil ne manque pas d’intérêt, on y retrace la genèse, la maturité et l’explosion de la distillation de céréales chez nous…
A lire sans modération.

NEWS ET POTINS – LE WHISKY, ALCOOL FAVORI DES FRANÇAIS, RÉSISTE À LA BAISSE DU MARCHÉ

Les Echos – Marie-Josée Cougard

La guerre et l’inflation ont freiné les ventes d’alcool en 2022 en France. Pas celles du whisky. Mais l’Inde a ravi à l’Hexagone sa position historique de premier consommateur mondial de scotch.

L’effet Covid est passé. Après une forte embellie liée au confinement, les ventes d’alcool ont retrouvé leur niveau de 2019. Elles ont baissé de 5 % pour la deuxième année consécutive en GMS (grandes et moyennes surfaces) tandis que l’activité en CHR (cafés, hôtels et restaurants) a bondi de 50 % en 2022, indique Nielsen. Dans cet environnement, le whisky tire bien son  pingle du jeu avec un chiffre d’affaires global de trois milliards d’euros en hausse de 6,6 % par rapport à 2019, malgré le recul des ventes en grande distribution (-7 %). Il demeure le grand favori des Français, avec 43 % du chiffre d’affaires total des enseignes de la distribution.
Le marché vit des évolutions notables. La France a perdu cette année sa position historique de premier consommateur de scotch whisky, la catégorie dominante, au profit de l’Inde, qui a hérité son goût pour cet alcool de la colonisation britannique.
Toutes les catégories sociales en sont des adeptes, sachant qu’il y en a pour tous les budgets, y compris les plus modestes. Les Français sont encore largement des consommateurs de moyenne gamme. Des « blends » au prix moyen de 20 euros la bouteille. Une qualité qui représente 80 % des ventes hexagonales. Mais le marché bouge selon des axes multiples. «Les amateurs ont rajeuni. On a sauté une génération. On voit émerger une clientèle de 23 à 27 ans, dont les grands-pères en buvaient », explique Thierry Benitah, le patron de la Maison du whisky, dont le chiffre d’affaires a été multiplié par 100 en vingt-six ans, passant de 1,5 million d’euros à 157 millions d’euros en 2022.
Les ventes sur Amazon ont fait un bond considérable pendant le Covid. « C’est  incontestablement un nouveau canal de distribution. Beaucoup plus développé au Royaume-Uni et en Allemagne, mais la France s’y est mise pendant la pandémie », dit Thierry Benitah. L’activité sur Internet a gagné 10 points depuis 2019. Toutes les tranches d’âge sont concernées. « Les cavistes ont doublé voire triplé leurs commandes. » La progression était encore de 7 % en 2022.
En 2023, le marché est retombé sous l’effet de la guerre et de l’inflation. « On sent le ralentissement hors Asie, qui fait un retour très fort », ajoute Thierry Benitah. On voit se dessiner une tendance haut de gamme, voire très haut de gamme. « Aujourd’hui il se crée des whiskies destinés à être d’emblée mis sur le marché à des prix extrêmement élevés de 200.000 à 300.000 euros la bouteille. Certaines ne seront probablement jamais ouvertes », dit encore Thierry Benitah.

Des niches de luxe
Il y a autour du whisky un esprit de collectionneur et un intérêt pour des flacons d’exception dans lesquels « on investit comme on le ferait dans un tableau en achetant des bouteilles qu’on n’a pas forcément l’intention d’ouvrir. C’est un placement, un objet de fierté aussi », explique Thierry Benitah. « Jusqu’à présent, les Français n’investissaient pas dans des bouteilles d’alcool comme ils peuvent le faire dans des objets d’art. C’était réservé aux Britanniques et à l’Europe du Nord. On sent aujourd’hui en France que le marché de l’ultra-rareté commence à se développer ».

Explosion des distilleries
Parallèlement à ces catégories d’exception, on assiste à une explosion des distilleries de whisky. La France en compte près de 120 alors qu’il n’y en avait qu’une seule en 1995. « Il s’en ouvre pratiquement toutes les semaines. Il est probable qu’il y en ait 200 d’ici cinq ans », prédit Thierry Benitah. Une distillerie ne demande pas beaucoup de capitaux et les produits locaux se vendent bien.
De nombreux producteurs de cognac ont lancé leur whisky, parmi lesquelles Boinaud, Vinet Delpech, Merlet, Fontagard, Tessendier… « Cela étant, et malgré l’explosion des distilleries, les whiskies artisanaux ne sont encore qu’une niche, par rapport aux whiskies japonais ou écossais».

LES NEWS ET LES POTINS … SWELL DE SPIRITS

Une nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants. Interview de Mickael Barbaria

Cadenhead, Gordon & MacPhail ou encore Signatory Vintage ont la part belle lorsqu’on évoque les embouteilleurs indépendants. Ils se distinguent des embouteilleurs officiels que sont les distilleries. Ces stakhanovistes du whisky sillonnent le monde à la découverte de LA cuvée. Fins connaisseurs et souvent négociants, ils sourcent donc les whiskies directement auprès des distilleries. Certains les font vieillir dans leurs chais, d’autres leur apportent une seconde maturation ou un finish avant de les embouteiller sous leur nom.

Aujourd’hui la qualité rime avec la traçabilité, alors la distillerie d’origine est mentionnée, sauf quelques exceptions bien entendu. Une nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants émerge. Si, certains se spécialisent dans le rhum ou le whisky, nous sommes partis à la rencontre d’un palais aiguisé qui rend hommage à toutes les catégories de spiritueux français en réalisant des sélections pointues en éditions ultra limitées : Michaël Barbaria, créateur de Swell de Spirits.

Quel est ton parcours ?
Michaël Barbaria : Issu d’une famille d’origine italienne, j’ai baigné tôt dans l’univers des vins et des spiritueux. Pas un repas de famille ne pouvait s’achever sans l’indétrônable Grappa.

Voilà pour les débuts de mes appétences pour les spiritueux et la distillation, sinon je suis ingénieur de formation. J’ai commencé chez Airbus dans le design et le calcul de structure, mais je n’étais pas en phase avec ce métier. Les voyages forment la jeunesse et j’avais envie de découvrir le monde. Alors je suis parti surfer la vague en Australie. D’ailleurs, ma passion pour le surf a inspiré le nom de ma boîte : Swell de Spirits. Swell, signifie houle. En surf, la houle désigne une vague propice à la pratique de la glisse. Cette ondulation puissante est gorgée d’énergie. Alors Swell de Spirits, littéralement la Houle des Spiritueux, retranscrit bien mon envie de créer une synergie entre les différentes eaux-de-vie et de mettre en lumière l’histoire des domaines et distilleries que j’ai découvert.

En résumé, j’ai été expat pendant 14 ans (Australie, Asie, Allemagne). Ce n’est qu’en 2017, lorsque j’ai repris mes études à l’ESCP Europe que j’ai commencé à toucher du doigt le fait de pouvoir vivre de ma passion des spiritueux. J’ai toujours été un afficionado, avec une préférence pour le whisky écossais. D’ailleurs ma femme est écossaise, mais elle ne s’appelle pas Rita (ndlr comme l’épouse de Masataka Taketsuru). Avant même de créer Swell de Spirits, j’avais commencé à acheter des fûts âgés de 3-4 ans, des new makes avec l’idée d’embouteiller pour un club de dégustation ou autre, même la finalité restait abstruse, mon leitmotiv était le partage animé par la découverte. En 2022, j’ai eu l’occasion de distiller aux côtés de Francis Cuthbert – propriétaire de la distillerie écossaise Daftmill, située dans les Lowlands.

Qu’est-ce qui t’a séduit dans l’univers des spiritueux ?
MB : Pas mal de choses. Si pour moi toutes les étapes sont importantes, c’est la distillation qui m’a séduit. La transformation de chaque matière première (orge, canne à sucre, vigne), c’est juste magique. Avec la distillation, on a un véritable morceau d’histoire. Cette méthode ancestrale qui traverse les siècles continue de nous surprendre. D’ailleurs, le distillat qui sort de l’alambic c’est l’ADN de la distillerie. Cela étant, ce que j’aime avec le vieillissement, c’est que même les meilleurs chimistes ne peuvent pas prévoir son résultat. Cette étape qui réserve son lot de surprises, bonnes ou mauvaises d’ailleurs, contribue à la magie de l’univers des spiritueux. Enfin, les rencontres et les échanges avec les différents acteurs de ce milieu m’enrichissent chaque jour et me confortent dans ma passion.

Qu’est-ce qui te plait le plus dans le fait d’être embouteilleur indépendant ?
MB : Rendre un hommage aux histoires, aux producteurs, mettre en lumière un savoir-faire. Le côté humain. Le partage.

Penses-tu que l’univers des spiritueux prend un coup de jeune et surtout qu’il devient de plus en plus « Geek » ?
MB : Oui. Les amateurs se forment et se renseignent de plus en plus sur la catégorie qui les intéresse. Certains passionnés vont jusqu’à se cotiser pour acheter une bouteille qu’ils découvriront et dégusteront ensemble (à cause de certains prix qui s’envolent, je pense notamment aux whiskies et de plus en plus aux rhums). Il y a une vraie tendance du consommer moins mais meilleur. Le whisky se rajeunit aussi. D’ailleurs, le côté embouteilleur indépendant a apporté un vent de fraîcheur. Pour moi, il n’y a pas de dogme dans la dégustation, l’essentiel est dans la découverte et le partage.

Quel a été le déclic pour te lancer dans l’aventure ?
MB : Décision familiale, que l’un des deux puissent vivre de sa passion. En 2020, le projet est arrivé à maturité. En 2021, j’ai ouvert le bal avec le Cognac Pasquet. L’idée est d’amener les amateurs de whisky et de rhum aux spiritueux français, de créer des passerelles entre les différentes catégories de spiritueux.

Quel est le critère « coup de coeur » pour sélectionner tel ou tel spiritueux ?
MB : Je marche au coup de coeur. Je décortique beaucoup, je suis dans le détail, ça doit venir de mon côté ingénieur. Je déguste peu mais bien et fait beaucoup de « nosing ».

Une philosophie à partager ?
MB : Vivre la vie à fond, se faire plaisir.

Quel est le maître mot d’un spiritueux réussi ?
MB : Chaque spiritueux a des critères que j’aime ou pas, mais quand je déguste et sélectionne, j’aime retrouver les codes organoleptiques typiques de la région. Par exemple, si je vais sur Islay, il faut que la tourbe un peu « dirty » soit combinée à une fumée subtile. Je recherche la finesse de l’élevage alliée à l’élégance du distillat.

Une anecdote croustillante sur le whisky ?
MB : Sais-tu ce que signifie l’acronyme FWP ? Il désigne un arôme intense de violette que certains embouteillages de whisky Bowmore (uniquement les officiels) réalisés dans les années 1980 présentent. Ce parfum intense de violette, jugé désagréable a été baptisé FWP (French Whore Perfume). Outre la référence un peu grivoise, voire désobligeante, ce problème survient pendant le brassage et non à l’étape du refroidissement des vapeurs d’alcool à la sortie de l’alambic grâce à des condenseurs comme beaucoup l’ont pensé. Ce défaut se produit lorsque la première eau du brassage est beaucoup trop chaude, en l’occurrence chez Bowmore, elle était à plus de 90°C.

A seulement 39 ans, Michaël Barbaria incarne la nouvelle génération d’embouteilleurs indépendants. Du cognac au whisky en passant par le calvados, l’armagnac et le rhum, Michaël Barbaria rend hommage à chacune des catégories et aux histoires familiales qui se cachent derrière chaque cuvée qu’il sélectionne et embouteille.

Marie-Sophie Girodet Bourhis

LES NEWS ET LES POTINS …. KILCHOMAN

KILCHOMAN
n’existerait pas sans la tuile …

Les hordes d’amateurs qui s’apprêtent à déferler sur Islay pour le Fèis Ile savent-elles seulement que sur cette île reine l’orge ne pousse que grâce à un ingénieux système enfoui sous terre depuis plus d’un siècle ? Système dans lequel une simple tuile joue un rôle clé.

« Drainer, c’est la première chose à faire avant de mettre un champ en culture », explique le directeur de Kilchoman – oh, et oui, Islay est son vrai prénom. La petite ferme-distillerie des Hébrides a rassemblé quelque 2.000 acres de terre et cultive une partie de ses besoins en orge, 150 t qu’elle malte elle-même, sur une aire à l’ancienne, et qu’elle réserve à son édition millésimée annuelle 100% Islay.

D’autres petits producteurs s’acharnent à planter cette céréale sur l’île – Bruichladdich par exemple s’est associée avec certains –, et tous vous diront la même chose : faire pousser l’orge sur une terre offerte aux vents et aux pluies qui couchent les épis, sans mentionner les vols d’oies qui vous ravagent un champ en quelques heures, c’est une chierie. Mais le principal obstacle, ce sont les sols lourds qui retiennent l’eau en surface en noyant les cultures. Alors, pour disputer ces parcelles aux éléments, depuis des siècles on draine les champs.

Le drainage agricole se pratique depuis l’Antiquité : les Romains assainissaient les terres en creusant des rigoles ou des fossés qu’ils remplissaient de pierres, de branchages et de paille pour favoriser l’écoulement des eaux. Mais les Britanniques, à partir du XVIIe siècle, vont en peaufiner les techniques, nécessité faisant loi : les preuves scientifiques ont beau manquer, c’est sans doute au Royaume uni que fut inventée la pluie. Ne dit-on pas à Douvres que si l’on ne voit pas Calais c’est qu’il pleut, et si on la voit c’est qu’il va pleuvoir ?

Dès le milieu du XIXe, une méthode s’installe durablement en Ecosse et en Angleterre : dans des
tranchées creusées à environ 70 cm de profondeur, on enterre des conduites formées  l’alignements de deux tuiles façonnées à la main, l’une plate et l’autre creuse, superposées. Le grès, poreux, laisse passer le trop-plein des pluies ou des eaux de sources souterraines, avant de les dériver jusqu’à des fossés en contrebas de champs.

Dans les années 1840, la Royal Agricultural Society of England organise des concours pour développer des techniques peu encombrantes de fabrication des tuiles, susceptibles d’assainir les terres dans les endroits les plus reculés. Et en 1852, bingo, un dénommé Irving met au point une machine qui moule les tuiles, une plate et une creuse pour former des drains en U, ou deux creuses pour les conduits ronds.

Le champ semble avoir été ravagé par une taupe géante devenue folle en cherchant la sortie, la terre éventrée entre les monticules d’argile, les nappes d’eau noyant ici et là les pousses d’orge semées au début du mois. « On repère les flaques en surface : c’est le signe qu’un drain est cassé. Reste plus qu’à creuser pour le remplacer. Les conduites courent sur toute la longueur des parcelles, parfois sur des centaines de mètres, avec des écarts de 5 m entre chaque. Tiens, regarde. » Les brisures de « tile » (tuile, en anglais, mais le mot désigne également ces drains en terre cuite circulaires) jonchent le fond de la fosse, où l’eau glougloute sournoisement. Ces tiles enfouies sous terre à la main, et qui résistent en toute discrétion depuis plus d’une centaine d’année dans les entrailles de l’île.

Au XIXe, en Angleterre et en Ecosse, la plupart des paroisses possédaient une fabrique de briques et de tuiles. Sur Islay, près de Kilchoman justement, on peut observer les restes de la Foreland Brick and Tile Works. Cet artisanat se transforme en puissante industrie en accompagnant le développement du chemin de fer (ponts et tunnels sont érigés en brique), de la construction et de l’agriculture. La qualité des argiles réfractaires écossaises, notamment, est mondialement reconnue à cette époque.

Ces terres cuites rouges s’exportent au-delà des océans. J’ai récemment photographié à la Barbade, dans le domaine de St Nicholas Abbey, une allée de briques dont certaines frappées du sceau de Bonnybridge Brand, une briqueterie du centre de l’Ecosse – un merveilleux site, Scottish Brick History, les recense toutes (chacun ses geekeries !). Par la suite, les petites fabriques disparaitront à mesure que ce réseau ferré qu’elles ont aidé à construire acheminera les matériaux des grosses usines implantées dans les Lowlands.

Mais leur empreinte subsiste toujours 3 pieds sous terre, dissimulée il y a plus d’un siècle par les mains anonymes de paysans qui arrachèrent à la pluie les terres à offrir au whisky. Les hordes d’amateurs enthousiastes qui s’apprêtent à déferler sur Islay pour le Fèis Ile le savent-elles seulement ?

Par Christine Lambert

WHISKY : la tourbe souffle son vent de fumé

Par Stéphane Davet – Publié le 17 novembre 2022 à 16h00

Autrefois boudée, la saveur « brûlée » typique des whiskys tourbés est désormais plébiscitée par un nombre croissant d’amateurs. Au point que les distilleries écossaises et irlandaises, mais aussi françaises, peinent à répondre à la demande. Pour ne rien arranger, la précieuse orge tourbée pourrait venir à manquer…

ANTONY HUCHETTE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Ceux qui ont eu la chance de parcourir la campagne irlandaise ou les villages d’Ecosse savent que s’échappent des cheminées des maisons, souvent chauffées aux briques de tourbe, un parfum très différent de celui de nos feux de bois. Flotte dans l’air un étrange mélange de combustion végétale, de goudron, de girofle et d’embruns iodés qui finit par devenir Indissociable des paysages de landes et des reliefs sauvages qui entourent les chaumières.
Ces effluves si évocateurs, on les retrouve dans un verre de peated malt, ou whisky « pure malt
tourbé » (peat signifie tourbe, en anglais), dont la première gorgée ne laisse pas indifférent.
« C’est en général un électrochoc. Soit on adore, soit on déteste », assure Franck Di Napoly, qui travaille dans la finance mais dont les comptes TikTok et Instagram racontent surtout sa passion des whiskys. « Je n’ai pas réussi à terminer mon premier verre d’Ardbeg [un des plus puissants tourbés de l’île d’Islay], tant j’avais l’impression qu’il embaumait le pneu brûlé. Les débutants ont souvent besoin d’une initiation avant de les apprécier », poursuit celui qui, aujourd’hui, admet souvent préférer les tourbés aux autres malts.