INDE – La face cachée de la planète whisky

Dans l’ancien Empire des Indes, il se consomme 120 millions de caisses de whisky, le plus souvent local, alors que l’Ecosse en exporte 90 millions… seulement ! Faut-il donc s’apercevoir que l’Inde est aujourd’hui le numéro 1 mondial du secteur ? Le tout est de savoir ce qu’on entend par whisky indien… 

Connaissez-vous Mc Dowell’s N°1 ? La plupart des connaisseurs, même les plus éclairés, répondront par la négative, et sont encore plus rares ceux qui l’ont un jour goûté. Pourtant, cette marque appartenant à United Spirits est devenue numéro mondial en 2012 avec 19,5 millions de caisses de 9 litres, détrônant pour la première fois Johnnie Walker (18,9 millions) que l’on croyait inamovible à cette place enviée.

Et ce n’est pas tout ! Selon le palmarès dressé par Drinks International (qui fait autorité), on trouve dans les 10 premiers whiskies mondiaux Officer’s Choice, Bagpiper, Royal Stag, Old Tavern, Original Choice, Imperial Blue et Hayward’s. Vous l’aurez compris, toutes ces marques sont d’origine indienne, et on ne trouve que, bien esseulé, le Jack Daniel’s à la 8ème place.

Le long passé colonial de l’actuelle Union Indienne explique bien sûr que le whisky y occupe une place de choix, d’autant que le pays n’avait guère de traditions spécifiques en matière de boissons alcoolisées, à la différence du Japon par exemple.

Deux anecdotes personnelles me reviennent en mémoire à ce sujet. Dans les années 80, mon épouse, ayant effectué un séjour professionnel en Inde, m’a raconté à son retour son effarement devant les quantités phénoménales de whisky qui se consommaient dans les réceptions auxquelles elle avait participé. Et c’était ça … ou du Coca !

Et puis, un peu plus tard, alors que je discutais marchés avec un responsable international d’United Distillers (qui n’était pas encore Diageo), il me révéla que sa société envisageait de se retirer du marché indien, tant leurs bouteilles de Johnnie Walker étaient réutilisées pour conditionner le « tord-boyau local », selon son expression.

C’est dire la place qu’a pris le whisky dans la société indienne, principalement dans les classes moyennes et supérieures, aujourd’hui en pleine expansion.

Whisky or not whisky ? 

Mais s’agit-il bien de whisky lorsqu’on mentionne l’eau-de-vie élaborée sous ce nom par les entreprises indiennes ? Pas du tout, répond la réglementation européenne en vigueur, elle-même découlant des décisions déjà anciennes prises par les Ecossais puis les Britanniques.

Car là-bas, on appelle whisky toute eau-de-vie élaborée à partir de sucres distillés : il s’agit le plus souvent de mélasse, ce résidus obtenu après l’extraction du jus de canne. Ce serait donc plutôt du rhum (même s’il n’en aurait guère l’odeur…) même si on l’assemble parfois avec un peu de whisky de malt ou de grain. Car la définition des instances communautaires est on ne plus précise : pour avoir droit à l’appellation “whisky“, une eau-de-vie doit être distillée à partir  de moût fermenté de céréales, et rien d’autre, sans parler d’un vieillissement d’au moins trois ans en fût de bois.

De ce fait, les “whiskies“ indiens sont interdits d’entrée dans l’Union Européenne, car non conformes à la réglementation. Seule exception notable : les blends et single malt Amrut, car ils sont élaborés selon les usages écossais. Et ils sont de grande qualité d’ailleurs, comme les membres du Clan ont pu s’en rendre compte à plusieurs reprises, en découvrant le Fusion, l’Intermediate ou encore le Blackadder Raw Cask.

Mais, plutôt que de se plier aux diktats européens, les Indiens ont préféré espérer en un changement des critères définissant le whisky au plan mondial. Et surtout, ils ont très fortement taxé les whiskies d’importation, avec des taux ayant pu atteindre 750 % en 2000, et qui sont encore aujourd’hui de 150 %. De quoi évidemment limiter au maximum la concurrence des “vrais“ whiskies sur le marché indien, alors qu’avec une population de 1,2 milliard d’habitants et une croissance rapide de l’économie, il a de quoi faire saliver tous les producteurs de spiritueux.

Je n’ai jamais eu l’occasion de déguster un de ces “whiskies“, et j’ignore donc tout de ce qu’ils peuvent donner en bouche. Et, au vu de leurs écrits, même récents, il semble en aller de même pour la plupart des spécialistes internationaux. Si un membre du Clan a eu l’occasion de se rendre en Inde et d’en boire, ses commentaires sont évidemment les bienvenus ici.

Grandes manœuvres 

Cette épineuse bataille réglementaire se double depuis quelques années d’une autre, de nature financière cette fois. En effet, en 2007, United Spirits, le leader du whisky indien, faisait une entrée tonitruante sur le marché écossais, en rachetant pour la bagatelle de 595 millions de livres (plus de 700 millions d’euros) le groupe Whyte & Mackay, avec notamment ses distilleries Jura et Dalmore, pour ne citer que les plus connues.

McDowell's, première marque mondiale de whisky indien

McDowell’s, première marque mondiale de whisky indien

Après les Américains et les Canadiens (après la Seconde Guerre Mondiale), puis les Japonais et les Français (avec Pernod-Ricard), c’était donc au tour des Indiens de s’inviter à la table écossaise.

Il aura fallu attendre plus de cinq ans la réaction britannique. Car, après de très longues négociations, le numéro 1 mondial du whisky, Diageo, a annoncé en novembre 2012 qu’il envisageait de prendre le contrôle progressif de la majorité des parts d’United Spirits. En fait, il a profité des grosses difficultés financières de la société mère du groupe indien. Dès juillet dernier, Diageo dépassait la barre des 25 %, et commençait à sérieusement chambouler l’organigramme des responsables de l’entreprise indienne.

Quel sera désormais l’avenir du whisky indien ? Un boulevard va-t-il s’ouvrir maintenant en Inde pour les whiskies écossais, ou du moins pour les marques de Diageo ? L’avenir nous le dira, mais une chose est sûre, il faudra désormais compter avec l’Union Indienne dans l’échiquier mondial du whisky.

Gilbert Delos

Sources : http://lesfleursdumalt.blog.lemonde.fr (y compris pour l’illustration) – Malt Whisky Year Book 2014.